On a beaucoup parlé des "50 Nuances de Grey". Trop sans doute. Après quelques mois de réflexion, je vais ajouter mon grain de fiel.
J'ai feuilleté, au temps de sa publication, quelques pages du tome un de cette brique de papelard chez Fraise (qui avait renoncéà la lire) et devant l'écriture vulgaire et l'inintérêt des situations, je n'ai pas davantage insisté.
Vu le succès annoncé de cette plate prose, deux autres volumes sont parus, et la première adaptation cinématographique est arrivée en avalanche.
Je n'avais certes pas l'intention de dépenser la moindre piécette rouge pour voir ce qui ne pouvait que m'affliger, et voici que l'amie Zabelle me donne un lien pour télécharger le film sur un site pas très licite que j'aime bien.
Je me dis que voir un film demande moins d'efforts que de lire un bouquin qui ne vous plaît pas, et calé dans un siège confortable, un verre de scotch à la main, (un irish pour Mike) ça peut se faire. Allons-y donc.
Au générique, le film s'ouvre sur une interprétation de "I put a spell on you" par Annie Lennox. Blues mythique de 1956, sur lequel des pointures viriles et rocailleuses, comme son créateur ("Screamin'" Jay Hawkins), ou encore Jo Cocker, ont cassé leurs voix. Ici, on passe à une version nettement plus "charme".
Pourquoi ce morceau, d'ailleurs ?... Pur hasard ?... "J'ai jeté un sort sur toi parce que tu es à moi..." Leit-motiv primaire de cette chanson que j'aime beaucoup par ailleurs, mais pas pour le texte... Il eut été plus en situation, me semble-t-il, d'avoir choisi une interprétation masculine. Évidemment, le grand black, ça ne faisait pas très distingué, dans ce film bien propre !...
Screamin' Jay Hawkins, I Put a Spell on You
La version originale par son créateur, le délirant "Screamin' Jay" !...
Annie Lennox - I Put a Spell On You
Vous remarquerez que dans ce diaporama, pas la moindre image ne peut évoquer le caractère prétendument sulfureux de l'histoire...
Rien qui puisse déranger, donc, selon le principe habituel du cinoche américain de grande consommation. Érotisme discret, même pas porno chic. "Basic Instinct" ou "Harcèlement", -les deux avec cet obsédé de Michael Douglas-, allaient beaucoup plus loin. Et même "La secrétaire" ou le méconnu "Neuf Semaines et demi", étaient bien plus intéressants dans le contexte SM. Quoi que pleins de retenue, censure oblige !... Le cul, ça passe très bien, mais si on sort une cravache... C'est à quelques mots près ce que disait Adrian Lyne, réalisateur de "Neuf Semaines et Demi".
Voici donc nos protagonistes : Christian Grey (Jamie Dornan)
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Son petit poing crispé sur une de ses foutues cravates, symbolisant ici un glaive... (J'ai un peu envie de rigoler. Je peux ?...)
Christian, qui achète des brides plastiques, de l'adhésif, de la ficelle, dans le bazar où travaille Anastasia Steele (Dakota Johnson)...
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...Mais qui attache sa proie avec des cravates coûteuses. Et encore, de façon plutôt symbolique.
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Et juste pour baiser.
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Franchement, il y a mieux à faire avec des cravates, non ?...
Pourquoi diable se fournit-il en éléments de quincaillerie qu'il n'utilisera jamais ?...
Vu que son donjon immense ressemble à un sex-shop designé par Phillipe Stark, ce matos vulgaire y serait fort déplacé. Pour faire SM, sans doute, que tout le monde puisse comprendre...
Quand je suis à Paris, je visite invariablement le sous-sol du BHV, Le plus grand sex-shop bricolage du monde SM. La ressemblance s'arrête là. Moi, je me sers de ce que j'y trouve...
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Je n'avais, pour ma part, jamais encore imaginé -et j'ai pourtant de l'imagination dans ce domaine- un endroit pareil... Hormis le lit à baldaquin, je ne conçois pas très bien les autres "meubles". Particulièrement la table laquée noire, à gauche de l'image. Même pas une croix de St-André en palissandre, un pilori en ébène et cuir pourpre, un cheval d'arçon de chez Hermès avec cravaches assorties... Pfff !... C'est petit !...
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-C'est chez Démonia ?... -Mais non !... Tais-toi !...
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Des queues de cheval au bout d'un manche... "Ça s'appelle un martinet", précise le Mémaître.
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Anastasia, aussi perplexe que moi devant le râtelier de gourdins punitifs. Pardon, "de canes"...
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Le personnage de Christian est joli garçon, avec "un air implacable" qui ne m'est pas apparu, mais j'ai sans doute une conception à l'ancienne de l'air dur et sévère. En fait, je le vois mieux en fessé qu'en fesseur. "Jevous trouve intimidant", dit-elle. "Y'a de quoi" ! Fanfaronne tranquillement le mec. Même par humour, j'hésiterais à afficher une telle prétention !... Et il réitère un peu plus tard : "Et qu'est-ce que je gagne dans tout ça ?..." Demande la môme, qui n'a pas plus que ça envie de se faire dérouiller pour le bon plaisir du milliardaire.
"MOI !" Répond le Christian, à qui je collerais volontiers deux baffes. Voire une bonne raclée.
Sur cette photo, il m'évoque Mathieu Gallet, le dispendieux PDG de Radio France. En aussi salaud, mais en moins viril.
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Le petit nid d'amour de mr Grey. Un peu froid pour mon goût. Mais, comme il le dit lui-même : "Je ne fais pas l'amour, je baise brutalement."Ça va avec.
A part ça, il possède plein de bagnoles coûteuses dont il fait des cadeaux comme d'autres offrent une boite de Léonidas. Il a aussi des avions et des planeurs, des hélicoptères. Il sait tout piloter, oui madame. Il connait par coeur la littérature classique, et Il est même capable de jouer Chopin comme Rubinstein sur son Fazioli, because Pleyel est en train de couler (ce qui peut se comprendre pour des pianos aqueux). Bref, il est tellement trop que ça frôle le ridicule. Des choses ridicules, remarquez, il y en a d'autres... Mais revenons à nos euh, moutons...
Aux alentours de la vingt-neuvième minute, on dresse l'oreille, à défaut d'autre chose, quand il lance : "Si vous étiez à moi, vous auriez du mal à vous asseoir pendant huit jours !" Mais on en reste là.
Puis on apprend qu'il a été adoptéà l'âge de quatre ans, et que sa maman était une pute camée. Quand il avait quinze ans, il fut le soumis d'une amie de sa mère pendant six ans. La nouvelle mère, ou l'ancienne ?... On s'en balance. Cela explique probablement son besoin de punir, tout bon psy vous le dira. Cela n'explique pas, cependant, comment ce fils de pute est arrivé -à vingt-sept ans- à la tête d'un empire digne du (peu) regretté Paul Getty. Je n'ai d'ailleurs pas très bien compris ce qu'il faisait... Mais c'est un détail ; cette histoire aurait moins de charme si elle se passait chez les pégreleux, au fin-fond du Bronx.
On apprend aussi que la môme était vierge. Ça arrange tout, tenez !... Quand l'autre lui fait étudier un contrat de soumission hyper-détaillé, déjà pas évident à conclure entre adultes chevronnés...
Après 1h14 de film et une recharge de scotch, quelque chose semble se passer : "Si tu lèves encore les yeux au ciel, je vais te donner une bonne fessée", dit-il, alors qu'ils boivent du Champagne dans des tasses à thé. (La Clâââsse). Et elle les relève. Les yeux.
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Il la jette en travers de ses genoux et la retrousse.
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La déculotte. Une claque tombe, puis une deuxième. (Des gentillettes).
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"Tu en veux encore ?..." S'enquiert le petit maître, comme si on demandait son avis à une fille que l'on fesse !... Devant le silence d'Ana, une troisième tape lui claque le cul, et le benêt qui en déduit que sa proie est mûre à point, triomphe : "Bienvenue dans mon monde !..." Fin de la séquence fessée. Il n'y en aura pas d'autre.
Tout fier de sa victoire, le prétentieux emmène la gosse dans sa "salle de jeux".
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Là, il lui met dans le creux de la main une tapette de cravache comme j'aurais bien aimé en recevoir à l'école quand les coups de règles étaient monnaie courante. Il recommence : "C'est douloureux ?""Non". "Tu vois, la douleur, c'est dans la tête."
J'ai de plus en plus l'envie de livrer ce petit con à une bande de dominas en cuir énervées. Je me sers un troisième whisky.
Il attache Ana les bras en l'air, et entre deux mignardises, lui file un petit coup de cravache. "Ça te plaît ?""oui !" A ce stade, ce n'est même plus le personnage qui mérite mon mépris, mais les auteurs.
Au bout d'un bon moment, le comportement de mr Grey commence à gonfler sérieusement la demoiselle, et je comprends très bien cela.
"Pourquoi tu tiens à me punir ?... A me faire mal ?...
Parce que je suis comme ça ! J'ai 50 nuances de folie.
Punis-moi, c'est comme ça que je comprendrai"...
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"Je vais te frapper six fois."
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Pourquoi seulement six, petit joueur ?... J'aime bien les dalles de cuir au sol.
Voilà, nous parvenons à l'épilogue. Elle a compris, et elle n'aime pas ça du tout.
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Et le petit Grey reste là comme un con dans son donjon chic.
Je renonce à vous décrire la scène déchirante où Anastasia entre dans l'ascenseur, et braille : "Christian !..." Tandis que la porte se referme et que le maîtrounet bavouille : "Ana !..."
Vous l'aurez compris, la suite ne va pas tarder à arriver. Et l'amour guérira le milliardaire qui a besoin de punir des filles, qui ne veut pas qu'on le touche, qui ne prétend pas dormir dans le même plumard que ses soumises, qui est donc, véritablement, un névrosé.
Ce film n'est donc qu'une bluette pas plus élevée que les romans de la collection Arlequin. Le prétexte sado-masochiste n'est, en effet, qu'un prétexte pour racoler plus large. La gourde amoureuse du PDG c'est hyper-rabaché, mais là, le magnat est SM... Mmmmh !...
Mais c'est écrit et réalisé par des vanilles, et l'image "maladive" que l'on donne au personnage est loin de traduire la réalité des hommes et des femmes on ne peut plus normaux, qui jouent en parfaite entente avec leurs partenaires. Des timbrés et des pas nets, il y en a partout, et dans tous les domaines. Même chez ceux qui baisent à la missionnaire. Surtout, puisqu'ils sont les plus nombreux...
Tant que j'y suis, un mot sur l'ensemble: Le film est très correctement réalisé, par Sam Taylor Johnson, que je ne connais rigoureusement pas. Une assez belle photographie. Je n'ai jamais vu ailleurs Jaimie Dornan, et je ne sais pas s'il est moins godiche dans d'autres rôles.
Je décerne une mention bien à Dakota Johnson, très crédible dans son personnage d'amoureuse dépassée par les évènements.
Maintenant, je ne conseille à aucun de mes amis de se taper ce film. Y'a rien à voir, et ça pousse à la boisson.